Eloge de la littérature

Le 9 octobre 2009

Que de délicatesses et de beaux sentiments! Que de souffrances pudiquement tues ou sincèrement cachées! En un mot, que de littérature! Bien plus qu’on en avait vu depuis oncques au JT de TF1. C’était Mitterrand le neveu se défendant des viles attaques de Le Pen la fille, dans ces sequels de la génération d’après dont [...]

Que de délicatesses et de beaux sentiments! Que de souffrances pudiquement tues ou sincèrement cachées! En un mot, que de littérature! Bien plus qu’on en avait vu depuis oncques au JT de TF1. C’était Mitterrand le neveu se défendant des viles attaques de Le Pen la fille, dans ces sequels de la génération d’après dont notre temps a le secret. Fredo avait le brushing altier des hommes blessés. Devant les yeux mouillés de larmes de la vierge préposée à la lucarne, nimbée d’un halo hollywoodien du meilleur aloi, c’était plié.

La littérature, qu’est-ce que c’est? Un truc qu’on ne trouve pas au troquet du coin, ni chez Carrefour, ni au Lavomatic. La littérature, c’est ce petit je ne sais quoi que partagent les gens de goût, les connaisseurs, avec un clin d’oeil en coin, si tu sais pas passe ton chemin. Grâce à la littérature, Baudelaire déjà venait tremper son spleen dans les bouges. La littérature, c’est comme la baguette magique de la fée Clochette: ça transforme tout ce qui est vil et laid en quelque chose de beau et de nimbé, avec un peu de poudre d’or, de musique et de grappes de raisin tout autour. Pour les poètes, la prostitution n’est plus la misère, le sordide et la honte. Elle devient l’archet de la sensibilité, l’écho des voix célestes, la volupté des âmes souffrantes.

La littérature, ça existe aussi au cinéma. Talisman de classe, elle protège celui qui la porte de l’adversité. Que vaut une fillette de treize ans face à une Palme d’or? C’est pour cela que l’ami Fredo, papoteur cinéphile et poseur douloureux, est devenu ministre de la Culture, il nous l’a dit: pour protéger les artistes. Les artistes sont les fées Clochette de notre temps, qui transforment la boue en or et mettent des nappes de violons un peu partout. Tu avoueras que c’est quand même plus joli comme ça.

Alors, sois gentil: respecte la douce souffrance de ces gens assez bons pour te faire cadeau de la beauté. Ne mélange pas tout. Ne fais pas de grossiers amalgames. Les amalgames, rappelle-t’en, ce n’est que pour la plèbe. Celle des internautes, par exemple, qu’un esthète pro-gouvernemental met dans le même sac que les «proxénètes, les psychopathes, les violeurs, les racistes et les voleurs». Non, non. Ici on est entre gens délicats, fins nez, qui savent faire la part des choses. Qui ont table ouverte à TF1 et rond de serviette à Champs Elysées (où on te répètera dimanche si t’as pas bien entendu jeudi). Le peuple n’est pas interviewé par Laurence Ferrari ? Il n’a qu’à écrire des sonnets.

Serge Dassault, 90e homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à plus de cinq milliards de dollars, frappé d’inégibilité par le Conseil d’Etat, se rassied dans le fauteuil du maire de Corbeil-Essonnes. Jean Sarkozy, 23 ans, est désigné à la tête de l’établissement public chargé d’aménager le quartier d’affaires de La Défense (Epad), le plus riche de France, où son papa, qui le dirigea jadis, a noué de solides amitiés. Pendant ce temps, le président de la République lit Proust. Et tout scandale s’évanouit, comme par un coup de baguette magique. La littérature, vous dis-je! Un peu d’impunité dans un monde de brutes.

> Article initialement publié sur arhv.org

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