OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La part d’ombre de Google Livres http://owni.fr/2012/06/13/la-part-dombre-de-google-livres/ http://owni.fr/2012/06/13/la-part-dombre-de-google-livres/#comments Wed, 13 Jun 2012 11:46:56 +0000 Lionel Maurel (Calimaq) http://owni.fr/?p=113175

Paix des braves pour Les Echoshache de guerre enterrée pour La Tribune ;  calumet de la paix partagé pour le Nouvel Observateur : la presse est unanime pour célébrer l’accord-cadre rendu public lundi entre Google, le Syndicat national de l’édition (SNE) et la Société des gens de lettres (SGDL), sur la numérisation des livres indisponibles sous droits.

Il est vrai que l’évènement est d’importance, puisque cet arrangement met fin à plus de sept années de conflits entre le moteur de recherche et le monde de l’édition française, à propos du programme de numérisation Google Books, qui avait entendu renverser de fond en comble les règles du droit d’auteur pour progresser plus vite.

Pourtant derrière cette belle unanimité, de multiples signes, émanant notamment d’auteurs français méfiants ou remontés contre les instances prétendant les représenter, attestent qu’il reste comme “un caillou dans la chaussure“, pour reprendre les paroles de l’écrivain Nicolas Ancion…

Il faut d’abord mettre en lumière le côté clair de cet accord, pour mieux cerner ensuite son côté obscur, notamment en ce qui concerne ses liens avec la loi sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du 20ème siècle, adoptée par le Parlement français en mars dernier.

Procès fleuve

L’essentiel du contentieux portait sur le recours par Google à l’opt-out – l’option de retrait – un procédé par lequel il demandait aux titulaires de droits de se manifester explicitement pour demander à sortir de son programme, ce qui lui permettait d’avancer dans la numérisation des ouvrages sans s’embarrasser a priori de la question chronophage de la gestion des droits.

Jugement Google/La Martinière : Alea jacta est ?

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Le verdict du procès Google/La Martinière est donc tombé vendredi, mettant fin plusieurs années d’incertitude en ...

Mais cette méthode a été condamnée par la justice française en décembre 2009, au terme d’un procès retentissant faisant suite à une plainte de l’éditeur La Martinière, soutenu par le SNE et la SGDL, qui a rappelé que l’opt-in – l’option d’adhésion – était seule compatible avec les règles du droit d’auteur français qui exigent que les titulaires de droits donnent un consentement explicite et préalable à l’utilisation de leurs œuvres.

L’impasse atteinte par Google en France a également trouvé écho aux États-Unis, où un autre procès fleuve l’oppose depuis plus longtemps encore aux auteurs et éditeurs américains. Saisi pendant plusieurs années d’une proposition de règlement entre les parties, qui aurait entériné le procédé de l’opt-out, le tribunal de New York en charge de l’affaire a lui aussi fini par estimer début 2011 que seule une solution à base d’opt-in pouvait être envisagée. Si un accord paraissait pouvoir être trouvé sur ce fondement avec les éditeurs américains, ce n’est visiblement pas le cas avec les auteurs réunis au sein de l’Author’s Guild, avec qui Google a repris une guerre de procédure acharnée. Et alors qu’on avait pu penser un moment que l’Author’s Guild allait être déboutée, le tribunal a fini à la fin du mois dernier par conforter sa position, ce qui place à présent Google dans une posture délicate aux Etats-Unis.

Cette situation d’échec dans le volet américain de l’affaire Google Livres contraste avec l’entente qui s’est installée peu à peu en France entre Google et les éditeurs, suite à sa condamnation en justice. Dès novembre 2010, Hachette Livres avait décidé de passer un protocole d’accord avec Google pour la numérisation de 50 000 oeuvres épuisées, sur la base de listes d’ouvrages établis par l’éditeur, ce qui consacrait un retour à l’opt-in. Il avait été suivi de manière emblématique par les éditions La Martinière, qui concluaient en août 2011 un accord paraissant suivre des principes similaires. Gallimard, Flammarion et Albin Michel annonçaient de leur côté en septembre 2011 un abandon des poursuites et l’ouverture de négociations.

L’accord-cadre conclu lundi s’inscrit donc dans une certaine logique et un mouvement graduel d’apaisement. Il consacre sans doute le basculement du groupe Editis, dont la position au sujet de Google Livres restait à ce jour incertaine, ainsi que l’abandon des poursuites par la SGDL, côté auteurs.

Réciprocité

Un internet raisonné où chaque partie se comprend” : les propos d’Antoine Gallimard lors de la conférence de presse mettent en avant l’esprit de réciprocité consacré par cet accord.

L’idée de base pour les éditeurs acceptant d’entrer dans l’accord consistera à travailler avec Google pour dresser une liste de titres figurant dans l’immense base de 20 millions d’ouvrages numérisés de Google, de vérifier qu’il en possède bien les droits et que les livres ne sont plus disponibles à la vente, que ce soit en papier ou en numérique.

L’éditeur aura alors la faculté de décider s’il souhaite que Google commercialise ses ouvrages via son propre dispositif de vente (Google Play), la “majorité des revenus”étant reversés à l’éditeur, d’après Philippe Colombet de Google France. Cet élément est décisif, car on imagine que c’est précisément ce taux de retour sur le produit des ventes de Google qui a satisfait les éditeurs français. Dans la première version du règlement américain, 63% des sommes étaient reversées aux titulaires de droits via le Book Right Registry. Ce règlement prévoyait également qu’au cas où les droits d’exploitation n’étaient pas retournés intégralement aux auteurs, le partage de ces revenus devait se faire à 65% pour l’auteur et à 35% pour l’éditeur. Gardez bien cela en tête, car il est fort probable que l’arithmétique soit beaucoup moins favorable aux auteurs avec l’accord-cadre français. Pour l’instant, il n’est cependant pas possible de connaître dans le détail le contenu de cet accord-cadre, qui ne sera transmis qu’aux éditeurs membres du SNE (et pas aux auteurs ? Tiens donc ? ;-).

En complément de ce partage des revenus, le SNE et la SGDL reçoivent eux aussi des sommes qui serviront pour les éditeurs à financer l’opération “Les petits champions de la lecture” et pour les auteurs à améliorer la base de données de la SGDL. Notons que le montant de ces sommes reste confidentiel côté français, alors qu’il était clairement annoncé en ce qui concerne le Règlement américain (125 millions de dollars). Autre pays, autres moeurs !

Mais l’argent n’est quand même pas tout et en matière de livre numérique, le nerf de la guerre, c’est d’abord la possession des fichiers. Or ici, les éditeurs obtiennent de pouvoir récupérer les fichiers numérisés par Google, assortis du droit d’en faire une exploitation commerciale, selon “plusieurs modalités proposées par Google” d’après le compte-rendu   de la conférence de presse dressé par Nicolas Gary d’Actualitté. Cette expression un brin sibylline renvoie visiblement à des possibilités de distribution, par les propres moyens de l’éditeur ou via des plateformes commerciales, étant entendu que, comme cela avait déjà plus ou moins filtré à propos des accords Hachette et Lamartinière, des exclusivités ont été consenties par les éditeurs français afin que les fichiers ne soient pas distribués par les concurrents les plus menaçants pour Google : Apple et Amazon. A ce sujet, il est sans doute assez cocasse de relever que les questions d’atteinte à la libre concurrence ont joué un rôle essentiel dans le rejet du règlement aux Etats-Unis et que l’Autorité de la Concurrence en France s’est déjà émue de l’évolution de Google vers une position dominante en matière dans le domaine du livre numérique.  Les éditeurs pourront par ailleurs également exploiter les fichiers sous forme d’impression à la demande.

Mis à part ces réserves sur lesquelles je reviendrai plus loin, on peut donc considérer l’accord-cadre français comme un échange de bons procédés, relativement équilibrés même s’il parait globalement très favorable aux éditeurs français. Google de son côté pourra à présent se targuer de l’exemple français pour essayer de trouver un terrain d’entente aux Etats-Unis ou dans d’autres pays dans le monde.

Pur hasard

Pourtant la part d’ombre de l’arrangement n’a pas manqué d’apparaître dès la conférence de presse de lundi, notamment lorsque Antoine Gallimard a dû répondre à propos des rapports entre ce dispositif et la récente loi sur la numérisation des livres indisponibles du 20ème siècle. Pour le président du SNE, “la présentation de cet accord-cadre n’est que pur hasard avec le calendrier de la loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles du XXe siècle”.

Mais les similitudes sont tout de même troublantes et le pur hasard a visiblement bien fait les choses. Car la loi sur l’exploitation numérique des livres indisponibles du 20ème siècle porte exactement sur le même objet que l’accord-cadre conclu avec Google, à savoir le corpus massif des oeuvres qui ne sont plus disponibles à la vente sous forme papier ou numérique, mais qui restent protégées par des droits. Or ce qui frappe immédiatement, c’est la différence de fonctionnement au niveau juridique des deux dispositifs envisagés.

En effet, alors que les éditeurs et les auteurs se sont visiblement battus avec opiniâtreté pour faire triompher l’opt-in dans l’accord-cadre, ils ont accepté avec la loi sur les livres indisponibles que soit introduit dans le Code de propriété intellectuelle français un opt-out !  J’ai déjà eu l’occasion de dire que cette loi était plus que critiquable dans la mesure où elle  portait très fortement atteinte aux principes du droit d’auteur français et que loin de constituer une alternative à Google Livres, elle ne faisait qu’en singer (maladroitement) les modalités.

La fin de l’hégémonie de Google Books ?

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Or la loi française, dans l’exposé même de ses motifs, explique qu’il n’était en quelque sorte pas possible de faire autrement que de passer par un opt-out pour introduire un système de gestion collective viable pour les oeuvres orphelines. L’accord-cadre intervenu lundi prouve que c’est absolument faux et que de l’aveu même des éditeurs du SNE et des auteurs de la SGDL, qui ont pourtant fait un lobbying d’enfer pour pousser cette loi, une autre approche était tout à fait possible, plus respectueuse des droits de tous - à commencer par ceux des auteurs –  !

Il est donc évident maintenant que cette loi a introduit dans le Code des adultérations majeures au droit d’auteur quasiment pour rien et pour bien mesurer la gravité de la chose, il faut relire ce qu’en dit par exemple le juriste spécialisé en propriété intellectuelle Franck Macrez dans le premier commentaire du texte paru au Dalloz :

En définitive, et à s’en tenir à la cohérence de la loi nouvelle avec les principes traditionnels du droit d’auteur, le bilan de ce texte voté en urgence est désastreux [...] Les auteurs se voient, par la force de la loi, obligés de partager les fruits de l’exploitation de leur création avec un exploitant dont la titularité des droits d’exploitation numérique est fortement sujette à caution. L’obligation d’exploitation permanente et suivie, qui participe de l’essence même de l’archétype des contrats d’exploitation du droit d’auteur, est anémiée. La présomption de titularité des droits d’exploitation sur l’œuvre au profit de son propriétaire naturel est réduite à néant. Que reste-t-il du droit d’auteur ?

Tactique

Quelle cohérence y a-t-il de la part des éditeurs du SNE et des auteurs de la SGDL a avoir tant poussé pour faire advenir cette loi, alors qu’un accord-cadre avec Google était en préparation ?

On peut penser que la première – et sans doute principale – raison était avant tout d’ordre tactique. Il est beaucoup plus simple de négocier avec un acteur redoutable comme Google si on peut assurer ses arrières en lui faisant remarquer qu’en cas d’échec des pourparlers, on pourra se tourner vers un dispositif national, financé à grands renforts d’argent de l’Emprunt national pour numériser et exploiter les ouvrages indisponibles, sans avoir besoin des services du moteur de recherche.

Mais une fois ce bénéfice tactique empoché, il y a de fortes raisons de penser que les éditeurs préféreront l’accord-cadre au dispositif mis en place par la loi française. Tout d’abord, l’accord-cadre a le mérite de rester secret, ce qui est toujours bien pratique, alors que la loi française, malgré beaucoup d’obscurités lors de son adoption, est lisible par tout un chacun. Comme le fait remarquer malicieusement @BlankTextfield sur Twitter, Google et le SNE pourraient commencer leur opération des “Petits champions de la lecture”… en permettant à tout le monde de lire cet accord ! Chiche ? Sachant que le Règlement Google Books avait lui aussi la vertu d’être complètement public…

L’autre avantage réside sans doute paradoxalement dans les fameuses “exclusivités” que comporte l’accord-cadre, qui empêchent des acteurs comme Apple et surtout Amazon d’exploiter les fichiers. Il faut sans doute moins y voir une condition imposée par Google qu’une entente passée entre tous les acteurs. Car il ne doit pas tant déplaire aux éditeurs français qu’Amazon par exemple soit ainsi mis sur la touche ; Mister Kindle et ses prix cassés étant considérés comme l’antéchrist numérique par beaucoup… En comparaison, il faut reconnaître que le dispositif de la loi sur les indisponibles est plus ouvert, puisque la société de gestion collective qui récupèrera la gestion des droits grâce à l’opt-out est tenue d’accorder des licences d’exploitation commerciales sur une base non-exclusive.

Notons enfin que contrairement à ce qu’a indiqué Antoine Gallimard lors de la conférence de presse, il y a fort peu de chances que la loi sur les indisponibles et l’accord-cadre s’avèrent “complémentaires”, et ce, pour une raison très simple. Si les ouvrages figurent sur des listes permettant à Google de les exploiter commercialement et si les éditeurs récupèrent les fichiers avec la possibilité de les exploiter, par définition, ces livres ne sont PLUS indisponibles. Ils ne peuvent donc plus être inscrits sur la base de données gérée par la BnF, qui constitue la première étape du processus d’opt-out.

Si les éditeurs principaux du SNE font le choix de signer l’accord-cadre avec Google, la loi française sur les indisponibles sera mécaniquement vidée de sa substance et il n’en restera en définitive que les vilaines scories juridiques qu’elle a introduit dans le Code…

Allez comprendre ! Mais vous allez voir qu’il y a d’autres éléments fort éclairants…

Serf

Le grand mérite de cette loi sur les indisponibles est peut-être d’avoir amené un grand nombre d’auteurs à se mobiliser, en marge de la SGDL, pour la défense de leurs droits dans l’environnement numérique.

Des livres libérés de licence

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Les licences libres ont permis l'émergence de succès dans les domaines de la musique et de la photographie. En revanche, la ...

Réunis sous la bannière du collectif “Le droit du serf“, ils ont fait valoir, notamment lors de discussions avec le Ministère de la Culture, que les oeuvres indisponibles doivent être assimilées à des oeuvres épuisées, ce qui dans l’esprit du droit d’auteur français, signifie que les droits devraient entièrement leur revenir. Un éditeur qui laisse un ouvrage s’épuiser manque vis-à-vis de l’auteur à une obligation essentielle du contrat d’édition. Dès lors que l’éditeur reconnaît, comme c’est le cas dans l’accord-cadre avec Google, que les oeuvres sont bien “indisponibles”, il n’est pas normal qu’il puisse continuer à revendiquer des droits numériques et une prétention à toucher une rémunération.

Cette rémunération de l’auteur a toutes chances d’ailleurs d’être réduite à la portion congrue. Souvenez-vous que dans le Règlement américain, il était prévu que 63% des revenus dégagés par Google iraient aux titulaires de droits, avec une répartition de 65% à l’auteur et de 35% à l’éditeur. Dans le dispositif de la loi sur les indisponibles, les sommes doivent être partagées à 50/50 entre l’éditeur et l’auteur (ce qui est déjà plus défavorable…). Avec l’accord-cadre, ce sera dans la plupart des cas sans doute bien pire encore. En effet, pour pouvoir être en mesure d’exploiter les livres sous forme numérique, les éditeurs font signer aux auteurs des avenants concernant les droits numériques. On sait par exemple que c’est ce qu’a dû faire Hachette [PDF] suite à la passation de l’accord en 2010 avec Google. Or il est notoire que les éditeurs dans ce cas font signer des avenants numériques qui maintiennent le taux de rémunération prévu pour le papier (entre 8 et 12% en moyenne). Et beaucoup d’auteurs hélas ont sans doute déjà accepté de tels avenants… ce qui signifie qu’à tout prendre l’accord-cadre avec Google est beaucoup plus rémunérateur pour les éditeurs que la loi sur les indisponibles. C’est plus clair comme ça ?

Soulignons enfin un point essentiel : il y a tout lieu de penser que l’opt-in imposé à Google s’applique en définitive beaucoup mieux pour les éditeurs que pour les auteurs. En effet, comme le fait très justement remarquer dans une tribune caustique l’auteur de SF et pilier du collectif “le droit du serf”, Yal Ayerdhal, la sortie du dispositif de l’accord-cadre va sans doute nécessiter pour les auteurs une action positive en direction de leur éditeur, et le site Actualitté pointe également ce problème :

“[...] que peut faire un auteur pour empêcher que son oeuvre soit numérisée en amont, et non plus en aval, avec cette simple possibilité de faire retirer le livre de la liste ? ” La démarche est complexe, voire laborieuse, et le président du SNE de nous répondre : « Mais en tout cas, il a le droit de la faire retirer. Son droit de retrait est inaliénable. » Le droit, certes, mais rien à faire en amont de la numérisation…

On est donc bien toujours dans l’opt-out… mais pour l’auteur seulement ! Ceci étant dit, ce travers majeur existait aussi dans la loi sur les oeuvres indisponibles, qui offre à l’éditeur des moyens beaucoup plus aisés de se retirer du dispositif que pour l’auteur

Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ?

Quelle filière industrielle pour la numérisation du patrimoine ?

Quelle voie intermédiaire prendre, entre une logique libérable de la privatisation basée sur la publicité et visant ...

Au final, on peut comprendre que certains auteurs se posent des questions à propos du rôle de la SGDL dans cet arrangement, alors que des points de désaccords importants existaient entre le SNE et cette organisation à propos de la question de l’évolution des contrats d’édition numériqueL’organisation répond à ces critiques en mettant en avant le fait que l’accord qu’elle a signé avec Google est indépendant de celui conclu par le SNE.

Admettons… mais comment expliquer alors qu’en 2010, la SGDL ait si vivement réagi à l’annonce du partenariat conclu entre Google en Hachette, en appelant ses membres à la plus grande vigilance ? En dehors du chèque versé par Google, quelles garanties a-t-elle bien pu obtenir qui aient à présent calmé ses frayeurs, alors que les modalités de fonctionnement de l’accord-cadre de lundi semblent identiques à celles de l’accord Hachette ?

D’autres acteurs de la “chaîne du livre” peuvent sans doute nourrir quelques inquiétudes. Il n’est plus question des libraires par exemple, alors qu’en 2011, La Martinière les mettait encore en avant (mais 2011, c’était déjà il y a si longtemps…). Quant aux bibliothèques, elles sont littéralement rayées de la carte par cet accord, alors qu’elles avaient quand même reçu quelques miettes symboliques dans la loi sur les indisponibles. En ce qui concerne leurs propres accords, aussi bien Hachette que La Martinière avaient évoqué la possibilité que les fichiers remis par Google soient transférés à la Bibliothèque nationale de France. Qu’en est-il pour cet accord ? Mystère… Sans compter que la BnF n’est pas l’ensemble des bibliothèques françaises et que la question du déficit criant de l’offre de livres numériques prévue pour elles reste entière.

Trois scénarios

Vous l’aurez compris, la part d’ombre principale de cet accord-cadre réside pour moi dans son articulation avec la loi sur les indisponibles. L’explication la plus simple consiste sans doute à se dire que les éditeurs français ont habilement joué sur tous les tableaux à la fois et qu’ils l’ont finalement emporté partout.

Mais essayons de nous porter dans l’avenir et d’envisager trois scénarios d’évolution pour cette loi :

  1. Le scénario idyllique : Les deux dispositifs s’avèrent effectivement complémentaires, comme l’avait prophétisé Antoine Gallimard. Les éditeurs gardent ainsi le choix entre deux voies différentes pour faire renaître leurs livres indisponibles. Certains vont travailler avec Google, d’autres – en nombre suffisant – passent par la gestion collective de la loi sur les indisponibles. Certains encore distinguent plusieurs corpus et les orientent soit vers Google, soit vers le dispositif Indisponibles, sur une base cohérente. Il en résulte au final deux offres distinctes et intéressantes pour les consommateurs. La France gagne l’Euro 2012 de football et on découvre un nouveau carburant inépuisable sur la Lune. Hem…

  2. Le scénario pathétique : Les éditeurs font le choix massivement d’adopter l’accord-cadre et de marcher avec Google. Comme je l’ai expliqué plus haut, cela tarit à la source le réservoir des oeuvres qui peuvent intégrer le dispositif, faute d’être indisponibles. La gestion collective envisagée par la loi demeure une sorte de coquille quasi-vide. Les sommes considérables de l’Emprunt national dévolues à ce projet auront été mobilisées en vain. Le Code de Propriété Intellectuelle reste quant à lui défiguré. La France est éliminée piteusement de l’Euro de foot 2012 et on apprend que la Lune émet des particules cancérigènes sur la Terre. Hem…

  3. Le scénario machiavélique : Contrairement à ce que j’ai dit plus haut, il existe tout de même une façon de connecter le dispositif  de la loi sur les Indisponibles à l’accord Google. Mais cela me paraîtrait tellement tordu que je n’avance l’hypothèse… qu’en tremblant ! Imaginons que Google et les éditeurs s’accordent sur un délai pour que le moteur n’exploite pas les oeuvres. Celles-ci sont donc bien indisponibles au sens la loi et elles peuvent être inscrites dans la base, ce qui déclenche l’opt-out. Peut alors jouer à plein l’effet de “blanchiment des contrats d’édition”, qui garantit aux éditeurs de conserver les droits, même sur les oeuvres pour lesquelles cela aurait pu être douteux (notamment les oeuvres orphelines).  Google réalise alors en France, ce qu’il ne peut plus rêver d’atteindre aux Etats-Unis, en demandant in fine une licence d’exploitation à la société de gestion collective.  Alors que les français étaient en passe de gagner l’Euro 2012, la finale est interrompue par une pluie de criquets. On découvre sur la Lune une forme de vie cachée, hostile et bavante, qui débarque pour tout ravager. Hem…

PS : merci @BlankTextField pour ses tweets #GBSfr sur cet accord, sans lesquels j’aurais eu bien du mal à démêler cet écheveau…


Images par Mike Licht [CC-by]

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Le drôle de manège de Disney http://owni.fr/2012/01/05/le-drole-de-manege-de-disney/ http://owni.fr/2012/01/05/le-drole-de-manege-de-disney/#comments Thu, 05 Jan 2012 08:22:35 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=92930

Le 27 octobre, deux wagons déraillaient dans l’attraction Le train de la mine à Disneyland Paris. Cet accident, heureusement sans gravité, est le second intervenu sur cette attraction en l’espace de six mois. La première fois, cinq personnes ont été blessées dont une gravement. Mais plus inquiétant, par deux fois la direction de Disneyland Paris aurait limité l’action des syndicats et empêché une expertise indépendante voulue par les services compétents. OWNI est allé faire un tour dans l’envers du décor.

Une expertise indépendante refusée

Un premier accident a eu lieu le 25 avril 2011. Lors du fonctionnement de l’attraction, un rocher du décor se décroche et, dans sa chute, blesse plusieurs adultes dont un homme de 38 ans, gravement touché à la tête. Admis aux urgences, opéré du cerveau, il ne portera pas plainte. Mais le parquet de Meaux ouvrira une information judiciaire.

Après le premier accident, l’attraction restera fermée pendant presque un mois, l’une des plus longues fermetures d’attraction depuis l’ouverture du parc. À la remise du rapport de l’expert, le parc, qui peut dans certains cas auto-certifier ses propres attractions, a rouvert Le train de mine à la fin du mois de mai, cinq mois avant le second accident. Un événement survenu dans un contexte lourd à Disneyland Paris, comme nous l’avions révélé au mois de novembre.

Le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), chargé de la protection et de la santé des salariés du groupe, ainsi que les syndicats n’auraient pas obtenu l’autorisation de consulter ledit rapport. Le CHSCT, dans une décision du 1er juin 2011 décide la mise en route d’une autre expertise à partir d’enquêtes internes menées par le syndicat UNSA. Cyril Lazaro, syndicaliste à la CGT raconte :

La nouvelle expertise se voulait indépendante et ne ciblait plus seulement sur le Big Thunder [ Le train de la mine N.D.L.R] mais l’ensemble du parc et ses attractions. Vous savez, une expertise sur un parc de la taille de Disneyland Paris prend du temps. Et surtout, cela coûte de l’argent…

La direction du parc, pour des raisons encore inconnues, a décidé de s’opposer à cette démarche et a traduit en référé le CHSCT. Dans sa décision du 20 juillet 2011, le Tribunal de Grande Instance de Meaux a reproché au CHSCT de ne pas avoir suffisamment démontré l’existence d’un “risque grave” pour la sécurité des salariés et, par voie de conséquence, des clients du parc.

Le tribunal a également reproché au CHSCT de ne pas avoir agi en amont en menant des investigations “personnelles et objectives” avant la décision du 1er juin réclamant une nouvelle expertise. Le juge a néanmoins retenu que l’on pouvait :

considérer que les témoignages des salariés, les alertes sociales, les enquêtes d’origine syndicale produites justifient effectivement des investigations plus approfondies du comité.

Sur ces motifs, le tribunal a annulé la demande d’expertise du CHSCT qui a fait appel de la décision.

Le CHSCT mis sur la touche

Depuis, un second accident a donc eu lieu dans Le train de la mine. Cette fois, c’est une pièce de type “Catapillar” utilisée lors des opérations de maintenance, qui, en sortant du rail, aurait fait dérailler les deux wagons de tête. Deux des passagers ont été légèrement blessés. Ces blessures se sont révélées plus tard sans gravité. Pour Patrick Maldidier, responsable UNSA et technicien de maintenance :

On a eu une chance extraordinaire car l’opérateur de l’attraction a déclenché l’arrêt d’urgence à temps. Il y avait une trentaine de personnes à bord du train.

La réouverture de l’attraction est décidée quatre jours plus tard après validation par les pouvoirs publics. De leur côté, les élus syndicaux, dont plusieurs ont été informés de l’accident par voie de presse, et le CHSCT, compétent en la matière, n’ont pu accéder à l’attraction que quelques heures avant la réouverture et n’ont donc, de facto, pas participé à l’enquête.

Mi-décembre encore, Antonio Ferreira, secrétaire du CHSCT service technique, restait flou :

Elle [la cellule de crise mise en place par la direction N.D.L.R] a remis l’attraction en route sans que les membres du CHSCT aient pu y accéder. En clair, on a pu contrôler l’attraction seulement quelques heures avant sa réouverture. Aujourd’hui on ne sait pas pourquoi cette pièce a lâché. J’attends toujours le rapport de l’expert.

David Charpentier du syndicat FO se demande si cette zone d’ombre ne masque pas autre chose :

Il y a des protestations à l’égard du fait que l’on ait été tenu loin de l’enquête sur l’attraction. Si on nous tient à l’écart c’est que, peut être, il y anguille sous roche. Nous sommes alors en droit de nous demander si le niveau de compétence produit est maximum. C’est difficile de l’affirmer.

La CFDT s’est également étonnée dans un courrier adressé à Philippe Gas, président d’Eurodisney, que les délégués du personnel et les personnes compétentes du CHSCT n’aient pu “accéder sur le lieu de l’attraction et la zone de l’incident” qu’après que “le système défaillant” ait été mis “hors de vue de ces derniers. (…) Ce manque total de transparence laisse planer le doute quant à la véritable réalité de cet incident.”

Maintenance débordée et démoralisée

En 2008, le système de maintenance a été refondu, découpant le parc en territoires distincts. Chacun possédant sa propre équipe. Pour plusieurs salariés avec lesquels nous nous sommes entretenus, ce changement dans le fonctionnement de la maintenance aurait eu un impact direct sur la qualité du travail. C’est notamment ce qu’affirme Patrick Maldidier, responsable UNSA :

Avant, on résonnait par type de compétence. Avec le nouveau système c’est plus de la débrouille qu’autre chose. Des gens qui n’ont pas les compétences nécessaires s’occupent d’attractions sans avoir reçu les formations nécessaires. Aujourd’hui, beaucoup estiment que «la réorganisation» remet en cause la maintenance que l’on faisait avant.

Cependant, il reconnaît que “le nombre d’accidents par rapport au nombre de personnes reçues chaque jours reste très faible” et cela sans doute grâce au fait que “les attractions sont vérifiées tous les jours et des tests avec des salariés du parc sont effectués”. Selon lui, c’est plutôt le “taux d’accidentologie” chez les salariés qui est à remettre en cause à Disney :

Le taux d’accidentologie chez les salariés dépasse celui des travaux publics. On bat des records d’années en années. Les gens n’en peuvent plus. Ils sont épuisés moralement car la maintenance n’a pas suffisamment de moyens.

Un point de vu partagé par Antonio Ferreira, secrétaire du CHSCT :

Beaucoup d’installations actuelles sont vétustes et les effectifs n’ont pas augmenté avec l’arrivée de Walt Disney Studio. C’est-à-dire que l’on s’occupe d’une surface beaucoup plus importante avec le même nombre de techniciens. Sur le dernier accident, la pièce qui a lâché aurait très bien pu céder avec l’ancien système de maintenance. Cela n’a, sur ce cas spécifique, rien à voir. Mais vus les conditions de travail et les moyens insuffisants qui sont donnés au CHSCT…

Sur ces sujets, la direction du parc, que nous avons contacté à plusieurs reprises, a souhaité réagir sobrement. Par un lapidaire :

“Nous contestons ces éléments et ne souhaitons pas apporter d’autres commentaires”

Tout est dit.


Illustration par Loguy pour Owni [ccbyncsa]
Illustration additionnelle par Nuchi Corp via Flickr [ccbyncnd]

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Mickey perd ses nerfs http://owni.fr/2011/12/07/mickey-perd-ses-nerfs-disneyland-paris/ http://owni.fr/2011/12/07/mickey-perd-ses-nerfs-disneyland-paris/#comments Wed, 07 Dec 2011 16:54:47 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=89554

Grande nervosité à l’état-major d’Euro Disney Associés, exploitant le parc Disneyland Paris. La direction invite de manière pressante les salariés du parc à ne plus parler aux journalistes. Dans un courrier interne du 24 novembre dernier (reproduit en intégralité ci-dessous), Karine Raynaud, présidente du Comité d’Entreprise et en charge des relations sociales chez Disneyland Paris, s’insurge contre la publication de l’audit confidentiel décrivant les conditions de travail chez Disney – révélé sur OWNI le 22 novembre. Et menace les salariés vaguement sensibles à la liberté d’expression qui confieraient à la presse quelques secrets sur les coulisses de Disneyland Paris :

Au vu de ce qui précède, nous nous réservons le droit (…) de prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire cesser de tels agissements, [et] d’en sanctionner les auteurs.

Contacté par OWNI au sujet de la tonalité de cette lettre, la direction du parc ne nous a pas encore répondu. Cependant, selon le site internet du syndicat FO Disney, le vice-président d’Euro Disney, Daniel Dreux, en charge des ressources humaines aurait déclaré que la direction du parc ne travaillera pas avec “les opposants“. Des propos confirmés par plusieurs témoins avec lesquels nous nous sommes entretenus. Ambiance.

Ces tensions ont été accentuées par le report d’une négociation sur la prime d’intéressement, initialement prévue le 16 novembre et repoussée à janvier 2012. La mise en place de la prime d’intéressement devait constituer une contrepartie à la signature par plusieurs organisations syndicales du “Plan salaire 2011” prévoyant la suppression de la prime de fin d’année pour les salariés non cadres. La CFDT, l’un des syndicats signataires dudit accord, a réagi sur son site internet :

La section CFDT Eurodisney (…) dénonce le non respect des engagements pris par la Direction de l’entreprise dans le cadre du plan salaire 2011. En effet, celle-ci vient d’annuler sine die et sans motif avéré, le processus de négociation de l’accord d’Intéressement, accord visant à associer les salariés à la croissance de l’entreprise. Encore une belle preuve de respect de la Direction vis à vis de ses salariés et qui non contente de se jouer de ces derniers, envisage aussi de raboter fortement les bonus annuels attribués aux team leaders. Scandaleux ! Et que dire du projet récemment présenté aux élus du comité d’entreprise, « Talent d’Equipe », un contrat social impliquant la responsabilité des acteurs mais aussi le respect de la parole donnée et des engagements pris. Leurs actes parlent pour eux même. Tout est dit …

Eurodisney, par la voix de son vice-président, Daniel Dreux, dans un courrier-réponse adressé au syndicat FO a fait valoir la nécessité pour l’entreprise “de refaire l’ensemble du processus budgétaire” et “de prendre en considération l’impact additionnel des différentes mesures gouvernementales annoncées dans le cadre du plan d’austérité”.

Contactés par téléphone, plusieurs responsables syndicaux ont indiqué que “le Noël 2011 se ferait sans prime de fin d’année et sans prime d’intéressement” pour les salariés.


Retrouvez nos précédentes enquêtes sur Disneyland Paris.

Illustration de marco c. [cc-bync] via Flickr

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L’art de Paul et Mickey http://owni.fr/2011/11/22/disney-detourne/ http://owni.fr/2011/11/22/disney-detourne/#comments Tue, 22 Nov 2011 18:19:10 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=87851

"Pendant que l'art fait diversion l'argent agit" par Christopher Dombres

Mickey dégoulinant à Los Angeles, par Lord Jim

Mickey is dead. Photo par Krancien

Mickey squelette en Norvège, photo par Ti.mo

Mickey en masque à gas à Dublin par Locace

Mickey pendu à Caen

Disney Zombies, graffiti à Tel Aviv, par Or Hiltch

I have a dream par Thomas Legrand ©

Un jour.... je serai caissière !! par Christopher Dombres

"Les bras m'en tombent" Photo par Picsishouldshare ©

Dumbo détourné par l’artiste mexicain José Rodolfo Loaiza Ontiveros, repéré par Golem13

Marilyn Manson avec les oreilles de Mickey par Ben Heine ©

Mickey Rat, par Nuchi Corp

Marilyn Mickey par Ron English ©

Couverture d'Owni par Loguy

Pour terminer, cette photo et cette vidéo de Catherine Hyland, repérées par Geoffrey Dorne, sur le projet abandonné du plus grand parc d’attraction en Chine :


Cliquer ici pour voir la vidéo.


Photos et illustrations via Flickr : Paternité Certains droits réservés par Môsieur J. [version 5.9a] ; PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Certains droits réservés par Nuchi Corp ; Copyright Tous droits réservés par Thomas Hawk ; Copyright Tous droits réservés par Martin Legrand ; Copyright Tous droits réservés par Ben Heine ; PaternitéPartage selon les Conditions Initiales Certains droits réservés par picsishouldshare ; PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Certains droits réservés par La Tête Krançien ; PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Certains droits réservés par Locace ; Paternité Certains droits réservés par CHRISTOPHER DOMBRES ; Paternité Certains droits réservés par Lord Jim ; PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales Certains droits réservés par Ti.mo

Article “Il peint une vision trash du monde de Disney” sur Golem13

Article “Le grand parc d’attraction de chine…” sur Graphism.fr 

Illustrations par Loguy et remixes par Ophelia pour Owni /-)

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Mickey retourne la CGT http://owni.fr/2011/11/22/mickey-retourne-la-cgt/ http://owni.fr/2011/11/22/mickey-retourne-la-cgt/#comments Tue, 22 Nov 2011 14:46:57 +0000 Alexandre Marchand et Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=87788

Le malaise social persistant à Disneyland Paris pourrait trouver son origine dans les relations singulières que le groupe semble entretenir avec les syndicats. Au cours de notre enquête, nos interlocuteurs nous ont plusieurs fois alerté sur l’entente cordiale qui régnerait entre des syndicats majoritaires et la direction, malgré les multiples dysfonctionnements soulevés par des audits sociaux.

Magie des négociations

Un accord sur le stress au travail et les risques psychosociaux a été ratifié le 1er septembre dernier. Moins que le contenu de l’accord, ce sont les modalités de sa ratification qui font l’objet d’interrogations chez UNSA et FO, non signataires. Plusieurs responsables se sont étonnés de la reprise des négociations après des mois de blocage. Patrick Maldidier, responsable du syndicat UNSA, non signataire, raconte :

Les négociations ont duré longtemps sur l’accord portant sur le stress et les risques psychosociaux car personne ne signait. D’un coup, la CFTC [seul signataire d'une première version au mois de juin NDLR], qui ne peut décider sans une majorité de syndicats, a demandé la réouverture des négociations. Le 1er septembre, une version très proche, à la virgule près, du dernier accord refusé en juin est déposée sur la table. Et là, surprise, sans que l’on ait ouvert une quelconque négociation, plusieurs délégués syndicaux procèdent aux signatures. Comme une séance de dédicaces. Plus tard, un délégué syndical m’a raconté qu’il avait appris le matin du 1er septembre qu’il signait l’accord…

Ce «nouvel» accord est signé par quatre syndicats représentant plus de 50% des salariés, il est par conséquent inattaquable.

De son côté, Disneyland le considère comme «équilibré» comme l’expliquait Karine Raynaud, directrice des relations sociales à AEF, une agence de presse spécialisée en droit du travail :

En juin 2011, la direction comme les organisations syndicales avaient sans doute besoin de marquer un temps de pause pour prendre le recul nécessaire afin de passer outre cette situation de blocage apparente. J’ai compris, lors de mes entretiens bilatéraux, au cours de l’été, que nous avions la possibilité d’aboutir en avançant sur ce point [la question de la formation nldr]. Avec quatre organisations syndicales signataires, représentant 65% des suffrages au cours des dernières élections, nous avons conclu un accord équilibré.

La signature de la CGT

Le retournement de situation début septembre avec la signature de l’accord suppose un revirement de la part de responsables syndicaux, CGT en tête. À en croire certains salariés, la CGT serait le syndicat le plus proche de la direction si l’on comptabilisait le nombre total d’accords qu’elle a ratifié ces dernières années. Comme le confirme David Charpentier de Force Ouvrière :

Je n’ai pas souvenir d’un accord sur les quatre-cinq dernières années que la CGT n’ait pas signé. L’entreprise veut une paix sociale facile mais surtout le silence autour de ce qui se fait en interne.

Contacté à ce sujet, les représentants CGT de Disney n’ont pas répondu à nos sollicitations. Pour sa part, Patrick Maldidier de l’UNSA, déplore une situation sociale qui «s’est aggravée depuis les trois suicides de 2010» sans que les syndicats, qu’il juge trop proche de la direction du parc puissent jouer un vrai rôle :

On raconte qu’il y a des liens. Je pense que c’est vrai.

250 000 euros

La même CGT apparaît impliqué dans une obscure affaire de malversations, faisant toujours l’objet d’une instruction judiciaire. Ainsi au mois de mai 2009, la direction de l’entreprise a gracieusement récompensé le comité d’entreprise pour sa “bonne gestion financière” de deux gros chèques de 250 000 euros chacun, à l’occasion de la signature d’un “accord atypique”. Bémol, le comité d’entreprise de Disney avait une fâcheuse tendance à perdre de l’argent en 2009. Et une partie de ces 500 000 euros auraient disparu sans laisser trop de justificatifs.

Au moment des faits, le délégué syndical de la CGT, Amadou N’Diaye (qui n’a pas répondu à nos demandes), occupait le poste de secrétaire général du comité d’entreprise. Ce même responsable syndical a été mis en examen dans une autre affaire financière. Il est soupçonné, avec un autre salarié, d’avoir détourné quelques 300 000 euros à travers une manipulation du système informatique de billetterie, entre 2006 et 2009. Selon le document de l’expert judiciaire chargé de déterminé l’origine de la fraude, dont OWNI s’est procuré une copie (voir ci-dessous) précisait dans son rapport au tribunal :

Le mode opératoire de cette affaire relève d’un dysfonctionnement systémique. C’est toute la chaîne de responsabilité qui aura permis l’infraction et non seulement le maillon informatique.


Photo par Lord Jim [cc-by] et illustration par Christopher Dombres [cc-by] via Flickr
Illustration par Loguy pour Owni /-)

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La magie noire de Disneyland Paris http://owni.fr/2011/11/22/la-magie-noire-de-disneyland/ http://owni.fr/2011/11/22/la-magie-noire-de-disneyland/#comments Tue, 22 Nov 2011 13:42:05 +0000 Rodolphe Baron http://owni.fr/?p=87785

Le 26 septembre dernier, Disneyland Paris se félicitait d’avoir signé avec les syndicats un accord pour mieux gérer les risques psychologiques touchant les 14 700 employés du parc d’attraction. Un message rassurant, adressé aux rédactions, pour faire oublier les trois suicides de salariés survenus au printemps 2010. Depuis, de saines relations de travail auraient été rétablies. Pas si sûr. L’enquête que nous avons menée sur place met en évidence des relations de travail souvent exécrables, au moins jusqu’en 2011, et de curieuses accointances entre syndicats et direction.

Selon un rapport interne confidentiel, daté de mai 2011 et dont nous avons obtenu une copie (voir plus bas), les relations entre salariés et direction sont marquées par une forme d’agressivité systématique. Et les situations décrites évoquent, régulièrement, des pratiques s’apparentant à du harcèlement moral.

Ce document de 32 pages synthétise deux audits réalisés par le cabinet MCS et par le cabinet Hay Group, et effectués quelques mois après le drame de 2010, à la demande de la direction du parc de Marne-la-Vallée et de la direction du groupe (la Walt Disney Company). Plus de 50% des salariés ont été interrogés dans ce cadre de ces études. Objet : évaluer les «facteurs socio-organisationnels du stress au travail». Cette synthèse n’a été diffusée dans son intégralité qu’aux principaux responsables du parc et aux membres de son comité d’entreprise.

Salariés surchargés et non soutenus

En premier lieu, le document mentionne des sentiments positifs, exprimés par les salariés. Comme la «fierté d’appartenir à l’entreprise» et la «bonne ambiance». Mais plusieurs critiques multiplient les ombres au tableau.

L’un des enseignements des deux études porte sur le fait que les salariés ont le sentiment fort d’une surcharge de travail, et ce à l’unanimité (…) Par ailleurs, parallèlement à la surcharge, il règne un sentiment d’injustice par rapport à la manière dont le travail est réparti (…) L’une des conséquences directes de cette surcharge est un ressenti important d’un déséquilibre entre vie privée / vie professionnelle (…) Moins d’un collaborateur sur deux considèrent que son manager direct l’aide à atteindre un équilibre raisonnable entre vie privée / vie professionnelle.

Pire encore, le niveau de concentration requise pour l’exécution des tâches est vécu comme une souffrance à l’unanimité, selon les auteurs du document, et cela tous statuts confondus. C’est également tous statuts confondus et à l’unanimité que les salariés ont l’impression que la direction générale n’aurait pas conscience de la réalité du terrain.

Enfin, les employés Disney dénoncent de façon récurrente une forme de copinage qui permet à certains de progresser dans l’entreprise. À en croire le document, le fait d’entretenir de «bonnes relations avec les managers» assurerait des perspectives d’évolution de carrière ainsi que d’obtention de bonus.

Un océan

Face à ces dysfonctionnements, un accord sur les risques psychosociaux a été ratifié le 1er septembre par une majorité de syndicats, mais après douze réunions réparties sur 18 mois. Celui-là même à l’origine du communiqué rassurant émis par Disneyland Paris le 26 septembre. Ce texte d’une vingtaine de pages redéfinit les rôles de chaque personne pour prévenir les risques de suicide, accentue la formation, la prévention et définit des sanctions en cas de harcèlement. Des mesures très insuffisantes pour Patrick Maldidier, responsable de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), qui a refusé de signer cet accord :

Il y a un océan entre l’accord que nous avons proposé et celui qui a été signé. La situation sociale est encore pire qu’avant (…) Rien n’a été fait pour permettre aux salariés d’arriver dans de bonnes conditions le matin en allant au travail.

Pas de crèche pour les bébés Disney

Selon lui, les problèmes du stress au travail ne sont pas «réglés à la racine». Tandis que des problèmes logistiques importants pèsent au quotidien. Par exemple en matière de logement :

La plupart des logements du parc sont réservés aux saisonniers. Alors les permanents doivent acheter ou louer dans la région mais les coûts sont surélevés. Les niveaux de salaires sont très bas puisque la moyenne des salaires est de 200 euros de plus que le SMIC. La situation actuelle est catastrophique car, en se sédentarisant, on a du mal à payer un loyer avec un salaire bas.

Dans la même veine, on découvre que le groupe Disney aurait refusé d’installer une crèche d’entreprise, pour ses centaines de salariés qui ont des enfants en bas âge :

Ce n’est plus la même population qui a commencé, ils se sont mariés et ont eu des enfants. Alors naturellement, on a proposé la mise en place d’une crèche pour les salariés de l’entreprise mais il y a eu opposition de la part de la direction. Ils justifient leur refus en disant que «le coût est élevé» et qu’ils «ne pourront satisfaire tout le monde». Alors, autant ne rien faire pour personne. C’est hallucinant.

Contacté dans le cadre de cette enquête, Laurent Manologlou, responsable de la communication de Disneyland Paris, n’a pas souhaité être cité. Pour toute réponse à nos questions, il nous a transmis un texte de quelques lignes rédigé par la directrice des relations sociales de Disneyland Paris, Karine Raynaud, portant sur la négociation de l’accord de septembre :

Il faut bien avoir à l’esprit qu’il ne s’agit pas d’une négociation isolée, mais qu’elle s’inscrit dans un contexte de négociations intenses. En juin 2011, la direction comme les organisations syndicales avaient sans doute besoin de marquer un temps de pause pour prendre le recul nécessaire afin de passer outre cette situation de blocage apparente. Nous étions confrontés à des points de blocage forts, de la part de certains négociateurs, sur des sujets comme l’amélioration des dispositifs d’aide au logement ou encore la multiplication des crèches d’entreprise. Or ce sont des sujets sur lesquels nous menons d’autres négociations en parallèle, et surtout qui impliquent d’autres acteurs extérieurs à l’entreprise, comme les organismes collecteurs du 1% logement ou les collectivités territoriales. Autre point de désaccord sur lequel nous avons pu travailler, certains négociateurs considéraient que nous ne distinguions pas suffisamment ce qui relevait de démarches de sensibilisation et de démarches de formation. Nous avons remis à plat la question de la formation, que nous réservions initialement aux directeurs généraux et managers. J’ai compris, lors de mes entretiens bilatéraux, au cours de l’été, que nous avions la possibilité d’aboutir en avançant sur ce point. Avec quatre organisations syndicales signataires, représentant 65% des suffrages au cours des dernières élections, nous avons conclu un accord équilibré.


Photos et illustrations par Môsieur J [cc-by] et Ti.mo [cc-by-nc-sa] via Flickr

Crédit une Loguy pour OWNI

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